Appelez-moi par mon prénom

Publié dans : Blog
Posté sur : 27 mai 2022

par Elizabeth Lim

Mon nom de famille est Lim; un nom apparemment simple à retenir, mais qu’on méprend souvent en raison de sa prononciation facile et de sa rime interne, alors que Lim nous rappelle d’autres mots et noms qui sont semblables phonétiquement, comme : Kim, Jim, Selim, Asim, pour n’en nommer que quelques-uns – Kim étant la plus interchangeable que j’ai vue. Le nom de famille Lim est en fait chargé de valeur culturelle et de signification inconnu dans l’Ouest. Par exemple, Lim signifie forêt ou bois en chinois. Le caractère de l'arbre ou mù ressemble à un tronc d'arbre relié à des racines et branches modestes (木). Lim s’écrit comme deux arbres l’un à côté de l’autre (木木), ce qui fait une forêt ou des bois. Il s’avère même qu’il y a une histoire sur les origines de mon nom de famille, qui implique un Prince qui dénonça les injustices d’un Roi tyrannique, ce qui donna lieu subséquemment à la fuite de la femme enceinte du Prince pour sauver sa vie lors d’une évasion déchirante dans les bois. Ce qui a été suivi par une naissance enchantée, un bébé et tout, protégé et soutenu par deux arbres magiques.

Nos noms ont un sens et, pour la plupart d’entre nous, ils constituent une partie importante de notre identité. J’aime dire que l’histoire de mon nom de famille appartient au genre de fantaisie historique sur le plan littéraire, semblable à l’idée que l’histoire du nom d’une personne peut provenir des ancêtres, un nom de clan par exemple, ou le nom du village, et peut même être dérivé de la production culturelle et matérielle des ancêtres et de leur subsistance. Dans la culture chinoise, on dit que votre caractère est déjà imprégné dans votre nom, avec l’espoir que vous serez à la hauteur un jour et que vous réaliserez le potentiel qui est présent dans votre nom. Par exemple, le nom donné à mon père était Yong, ce qui signifie force et courage. Pour moi et mes frères et sœurs, mon père a incarné ces traits et plus encore tout au long de sa vie, en élevant une famille en tant qu’immigrant et en s’intégrant à une nouvelle culture et à un nouveau pays. J’aime mon nom de famille et je suis très fière de son histoire d’origine, et je peux même prétendre être la descendante d’un guerrier de justice sociale, mais j’avoue que je ne me suis pas toujours sentie comme ça.

Lorsque j’étais jeune adulte, j’ai d’abord rencontré ce que je crois faire partie d’un phénomène connu aujourd’hui sous le nom de « Désolé, pas le bon Asiatique » (Sorry Wrong Asian), inventé par l’écrivain américain et critique culturel Jeff Yang. Désolé, pas le bon Asiatique, peut s’entendre d’une manifestation de la peur du collectivisme asiatique de l’Ouest et d’une perte d’individualité, provenant de l’idée du stéréotype du « péril jaune » et de l’homogénéisation des personnes asiatiques en des « hordes fourmillants ». Pour moi, l’expérience Désolé pas le bon Asiatique peut survenir n’importe quand et nous faire sursauter, comme dans une salle d’attente lorsqu’une personne m’adresse la parole en disant « Kim? » Ou être en réunion avec des collègues et être déçu d’être appelé « Kim » et personne ne remarque cette légère différence. Ensuite, il y a l’expérience d’avoir reçu un courriel adressé à « Kim », même si mon vrai nom est simple comme de l’eau de roche. L’expérience est parfois drôle, mais surtout agaçante et gênante, étant donné que mon nom est « Élizabeth », qui est en fait le 32e nom de fille le plus populaire au Canada, et les variations les plus courantes de ce nom sont Liz, Lizzie ou Beth, qui n’ont aucune similitude avec le nom Kim.

J’ai conclu que le fait d’être appelé Kim est un stéréotype racial, basé sur les préjugés implicites que tous les Asiatiques se ressemblent. Il est vrai que Kim est un nom asiatique commun. En fait, Kim est le nom de famille le plus courant en Corée du Sud. Une recherche des 10 personnes les plus célèbres nommées Kim a permis de constater qu’elles sont principalement Asiatiques, mais l’Asie-Pacifique constitue une vaste région composée de 48 pays différents qui représente plus de 60 % de la population mondiale. Je me demande donc comment est-il possible d’homogénéiser autant de diversité?  Malheureusement, je ne suis pas seule à vivre l’expérience d’être confondu avec la mauvaise Asiatique, comme en témoigne le mot-clic #SorryWrongAsian, qui vous mènera à de nombreux comptes réels, gênants et parfois drôles de personnes asiatiques, partageant leurs histoires de personnes qui malmènent leur nom.

À un autre niveau, l’expérience d’être perçu comme la mauvaise Asiatique peut être considérée comme une forme de microagression raciale. Les microagressions raciales sont courantes dans la vie quotidienne des personnes racialisées et souvent adoptées par des personnes bien intentionnées et bonnes, qui ne sont néanmoins pas au courant de toute transgression adoptée envers une autre personne. Des exemples de microagressions raciales peuvent être aussi simples que de demander à une personne d’origine asiatique d’où elle vient, ou de dire à une personne racialisée qu’elle parle bien l’anglais, ou de mal prononcer le nom d’une personne, ce qui peut sembler des questions ou des gestes inoffensifs, mais en réalité, cela traduit un préjugé inhérent à l’effet que les gens qui ne ressemblent pas à la société dominante sont des étrangers, et n’appartiennent pas à part entière. Ces « glissements au quotidien » s’additionnent. En fait, les études montrent au fil du temps que l’exposition répétée aux microagressions peut avoir une incidence négative sur la santé et le bien-être d’une personne en plus d’être un « rappel constant aux personnes de couleur qu’elles sont des citoyens de deuxième classe ». Nous devons notre compréhension actuelle des microagressions à la recherche séminale du Dr Derald Wing Sue, professeur de psychologie et d’éducation à l’Université Columbia. Son travail nous rappelle que toutes les personnes marginalisées, pas seulement celles qui sont racialisées, vivent des microagressions, qui peuvent être attribuables à un certain nombre d’aspects de l’identité d’une personne, y compris leur genre, leur orientation sexuelle, leur handicap, leurs croyances religieuses et plus encore.

Comment désamorçons-nous les comportements microagressifs?  Dans son Guide to Responding to Microaggressions, le Dr Kevin Nadal, professeur distingué de psychologie au Collège John Jay et au Centre des diplômés de l’Université de New York conseille comme première étape : être conscient de notre langage et des messages inconscients qui peuvent être dénigrants, lesquels peuvent se transmettre à notre insu par le biais des mots utilisés. Comme deuxième étape, engagez-vous à en apprendre davantage sur les microagressions – les différentes formes, les messages qu’elles transmettent et leur incidence. De plus, le Dr Nadal nous rappelle que tout le monde est capable de commettre une microagression. Par conséquent, si vous avez l’impression d’avoir offensé une autre personne ou d’avoir été « identifié » selon votre propre comportement ou vos mots, admettez votre transgression et excusez-vous sincèrement. Dr Nadal informe également qu’être identifié comme un léger raciste, sexiste ou homophobe peut entraîner une réaction défensive, centrée sur les sentiments de déni. Essayez plutôt d’écouter sans juger l’autre personne afin de comprendre ce qu’elle vit. Il est important de noter que vous vous engagez à en apprendre davantage sur l’histoire du racisme systémique au Canada, passé et présent.

Je suis reconnaissant envers des personnes comme le Dr Sue et le Dr Nadal, dont la recherche valide les expériences des personnes racialisées et marginalisées. Il y a des années, ma réaction à une microagression, comme d’être appelée Kim, aurait été de partir, car je n’avais pas le langage ou les outils pour comprendre et gérer ces situations. Aujourd’hui, si vous m’appelez Kim, j’espère que vous ne serez pas sur la défensive si je vous engage dans un dialogue sur les microagressions et même sur le phénomène #SorryWrongAsian, et pourquoi cela est important pour moi de m’appeler par mon nom.

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