Publié dans : Blog
Posté sur : 15 juillet 2025
Par Anthony Lombardi, Iván Barradas, MacKenzie Pudwell et Viktória Belle
Au cours des derniers mois, le Canada, longtemps considéré comme un pays progressiste et inclusif, a été témoin d’une montée inquiétante de menaces et de gestes hostiles à l’encontre des communautés 2ELGBTQIA+. Malgré les protections juridiques et les avancées sociales, les personnes qui s’identifient comme faisant partie de ce collectif diversifié continuent de subir des agressions, de la violence et de la discrimination croissantes. Des cas alarmants de crimes haineux à l’amplification de la rhétorique anti 2ELGBTQIA+ dans les médias et le discours politique, la sécurité et le bien-être de nombreux·euses Canadien·ne·s sont de plus en plus menacés.
Pour sensibiliser à cette réalité préoccupante, le CCDI a posé la question suivante à quatre membres de son personnel qui s’identifient comme des personnes queers :
Compte tenu des menaces croissantes qui pèsent sur les efforts de DÉIA dans notre pays, quelle est votre contribution, personnelle et professionnelle, à la création de milieux de travail canadiens plus sûrs et inclusifs pour les personnes 2ELGBTQIA+?
Voici leurs réponses.
Anthony Lombardi (il)
Grandir en tant qu’homosexuel signifiait vivre avec la peur constante d’être découvert; une peur qui m’accompagnait partout et s’infiltrait dans tout ce que je faisais. Aujourd’hui, en tant qu’homosexuel confiant et sûr de lui, cette peur ne me hante plus. Cependant, je reconnais que la profondeur de la honte que j’ai portée pendant deux décennies a façonné la direction que prendrait ma vie ainsi que la manière dont j’y parviendrais. Cette honte est à l’origine de ma décision de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que d’autres personnes vivant dans une honte similaire puissent trouver le soutien nécessaire pour surmonter les obstacles qui les empêchent d’exprimer leur véritable identité. J’en suis venu à la conclusion que toute forme d’inauthenticité était simplement inacceptable.
Le parcours de mon activisme a commencé par du bénévolat quelques soirs par mois pour une ligne téléphonique d’aide et d’information destinée aux personnes aux prises avec leur identité sexuelle et/ou de genre. Il était bouleversant de constater que tant de personnes n’avaient pas encore réalisé ce que j’avais fini par comprendre : qu’elles étaient tout aussi dignes d’amour et de respect que n’importe qui d’autre.
En dehors de mes heures de bénévolat, j’ai commencé à m’exprimer librement sur l’inclusion de genre et de sexualité. Même si les personnes autour de moi ne remettaient pas en question leur propre identité, leur capacité à comprendre des enjeux éloignés de leur propre réalité influençait grandement leur vision du monde — une vision qui ne reconnaissait pas nécessairement le besoin des espaces sûrs que je m’efforçais de créer.
Aujourd’hui, vingt ans plus tard, je travaille au Centre canadien pour la diversité et l’inclusion avec des organisations engagées à bâtir des milieux de travail sûrs. Lorsque j’éteins mon ordinateur à la fin de la journée ou le vendredi après-midi, je retourne dans un monde où mes réunions et mes projets sont peut-être invisibles, mais où les menaces envers l’inclusion continuent de faire des ravages. Si je veux réellement voir émerger des espaces sûrs pour la diversité qui nous entoure, je dois comprendre que cette mission ne peut pas être confinée à une semaine de 40 heures ni à un engagement sporadique de bénévolat. Je dois intégrer cet effort dans les sphères professionnelles et personnelles de ma vie, en développant l’empathie, la sensibilisation, l’éducation et l’écoute active.
J’ai travaillé dur pour ne pas rester à jamais marqué par la honte qui a asservi mon identité pendant 20 ans. Il est impossible de comprendre ce que représente un tel poids lorsque votre existence n’est pas constamment remise en question. Je soutiens qu’il n’est même pas nécessaire de le comprendre en profondeur. Ce qui est réellement nécessaire, c’est l’acte collectif qui consiste à partager nos espaces sans imposer aux autres le fardeau accablant de devoir justifier leur existence. Cette pratique, j’en parle avec mes équipes au travail, mes ami·e·s, ma famille. Je le fais parce que je crois qu’un dialogue honnête et sain nous permet de mieux reconnaître là où nous pouvons faire mieux et être meilleur·e·s.
Merci de m’accompagner sur ce chemin vers un espace plus sûr pour nous tou·te·s. — Anthony
Iván Barradas (il)
En tant qu’éducateur en DÉIA et personne appartenant aux collectifs 2ELGBTQIA+ au Canada, avec une dévotion particulière et un parcours professionnel ancré dans les domaines de l’enseignement aux adultes et des langues vivantes, il m’est indispensable d’utiliser et de promouvoir l’usage de la terminologie la plus adéquate et actualisée pour désigner les autres personnes qui s’identifient comme des membres ou des allié·e·s des communautés 2ELGBTQIA+, et qui possèdent une expérience vécue ou vivante sur ces réalités.
Ainsi, l’une de mes contributions les plus notables a été la collaboration avec l’équipe de recherche lors de la révision annuelle du Glossaire des termes DÉIA du CCDI. J’y ai eu l’occasion de discuter, de modifier et d’enrichir plusieurs entrées et définitions afin de favoriser une meilleure compréhension des réalités 2ELGBTQIA+ dans notre pays. Par exemple, des notions importantes comme « enbyphobie »[i], « endosexe »[ii] et « hétérocisnormativité »[iii], ont été ajoutées au glossaire, de même que certaines révisions aux définitions précédentes de l’« orientation romantique »[iv] et de la « transitude »[v].
Bien qu’un tel exercice soit une occasion fascinante d’apprentissage et de diffusion des connaissances, il faut toutefois noter que ce n’est pas nécessairement une tâche facile. Les orientations sexuelles, les identités de genre et les expressions de genre sont complexes, fluides et en constante évolution, et ne peuvent être abordées en appliquant une approche « rigide ». Certains termes largement utilisés il y a quelques années ne sont plus d’actualité, tandis que d’autres, vaguement définis, comme « queer »[vi], nécessitaient des recherches plus approfondies.
D’autre part, il est important de reconnaître que le fait d’avoir une expérience vécue liée à la terminologie (ou les entretiens menés avec des personnes concernées) a joué un rôle déterminant dans la correction ou la clarification du contenu. En outre, le fait de naviguer entre les particularités de l’anglais et du français, ainsi que les différentes perspectives associées à certaines entrées — selon les peuples autochtones, les communautés francophones, les chercheur·euse·s anglophones et les groupes allophones — a rendu cette expérience particulièrement enrichissante.
À toutes les personnes 2ELGBTQIA+ qui vivent dans un état de détresse au Canada, j’envoie tout mon courage. — Iván
MacKenzie Pudwell (elle)
La DÉIA fait actuellement l’objet d’une nouvelle vague de résistance et de discours hostiles. Il est essentiel, en cette période de turbulence, de créer activement des espaces sûrs en milieu de travail et dans la société pour les groupes qui méritent l’équité. Cela inclut les communautés 2ELGBTQIA+ dont les droits, les protections et l’accès aux ressources sont remis en question, non seulement aux États-Unis, mais aussi ici même, au Canada.
En tant que professionnelle queer, j’ai été confrontée à des préjugés, à la diversité de façade et à des obstacles à l’inclusion liés à mon identité et à ma communauté. Bien que j’aie été victime d’homophobie et de sexisme, je suis une femme queer, blanche et cisgenre, et je reconnais que, malgré l’homophobie et le sexisme que j’ai subis, mon expérience ne représente pas l’ensemble des expériences des personnes 2ELGBTQIA+. La diversité de notre communauté est magnifique et complexe, mais je reconnais mes limites et je choisis malgré tout de m’engager et de soutenir ma communauté.
Sur le plan professionnel, j’essaie de soutenir le développement de contenus inclusifs pour les personnes queers et de tirer parti de l’apprentissage de toutes les identités, enjeux et expériences de la communauté 2ELGBTQIA+ pour enrichir mes connaissances. Mon objectif est aussi de sensibiliser les gens aux influences sociopolitiques au Canada qui ont un impact négatif sur notre communauté. Pour mieux comprendre ce qui se passe dans vos régions, je vous invite à entrer en contact avec les groupes 2ELGBTQIA+ locaux dès aujourd’hui. Entre les propositions d’interdiction de livres, les limitations à l’accès aux soins de santé et les politiques de révélation, vous pourriez être tristement surpris·e·s.
Personnellement, j’ai eu l’immense honneur d’épouser cette année ma merveilleuse conjointe. Chaque étape de planification s’est transformée en une occasion d’éducation et de remise en question des présomptions dans l’industrie du mariage. Parfois, nous avons été agréablement surprises — bravo à nos photographes pour leur approche inclusive. D’autres fois, nous avons dû faire une pause et proposer d’autres possibilités, suggérer un langage plus inclusif ou signaler des pratiques problématiques. Plusieurs fournisseurs ont reçu ces commentaires ouvertement et ont apporté des changements. D’autres ne l’ont pas fait, ce qui était décevant, mais un signe d’un manque d’alignement avec nos valeurs.
Nous voulions que notre mariage reflète un engagement envers la communauté 2ELGBTQIA+ de l’Alberta. À la place de cadeaux, nous avons invité les gens à faire un don à la Skipping Stone Foundation, un organisme de bienfaisance local qui soutient les jeunes personnes transgenres et non-binaires, particulièrement ciblés sur le plan politique en Alberta. Certain·e·s membres de notre famille ont exprimé des réserves, craignant que cela ne mette les autres mal à l’aise. Nous avons répondu : « Si c’est leur limite, cela signifie probablement qu’ils·elles ne sont pas censé·e·s célébrer notre amour et la magnifique communauté à laquelle nous appartenons. »
L’inclusion n’est pas un don, une politique ou un geste unique. Il s’agit d’un engagement quotidien composé d’actions, de faux pas, de moments d’apprentissage et d’efforts intentionnels dans toutes les sphères de notre vie. Construire des espaces sûrs et inclusifs est un travail permanent, et je m’engage à poursuivre ce travail avec vous tou·te·s.
Je me réjouis à l’idée de cheminer avec vous. — MacKenzie
Viktória Belle (elle, iel)
Audre Lorde nous rappelle que « la révolution n’est pas un événement unique »[vii]. Quand je pense à la révolution, je pense à la communauté 2ELGBTQIA+ et à la façon dont nous continuons tou·te·s à construire de petites et grandes révolutions chaque jour dans le monde. Les personnes 2ELGBTQIA+ ont toujours existé et existeront toujours, ce qui signifie qu’il existe un riche héritage dont nous pouvons apprendre et que nous pouvons suivre.
Personnellement et professionnellement, je m’efforce de prioriser les occasions favorisant la sécurité et l’autonomisation, en amplifiant les voix et les enseignements des personnes 2ELGBTQIA+ dans ma vie quotidienne et dans mon travail. Cela peut parfois se faire en prenant la parole lorsque des actes de discrimination, de mégenrage ou d’exclusion se produisent en temps réel. Cela peut aussi prendre la forme de dénonciation de l’injustice dans les relations ou dans les structures organisationnelles, lorsque c’est sécuritaire de le faire; d’un appel à la reconnaissance de l’humanité et de l’humilité, malgré la montée de la haine à travers l’éducation; ou par l’offre de ressources et d’un espace bienveillant. Souvent, nous passons tellement de temps à parler de sécurité : comment rester en sécurité, comment être en sécurité, comment se protéger les un·e·s les autres… Cela occupe beaucoup de place et de temps dans la vie de nombreuses personnes 2ELGBTQIA+. Célébrer notre joie et notre humanité est en soi un acte de résistance, une petite révolution silencieuse. Et les allié·e·s peuvent jouer un rôle essentiel en partageant une partie de ce travail soutenu d’éducation, et en offrant un espace bienveillant.
Au Canada et dans le monde entier, la montée des menaces et de la haine fondées sur l’identité fragilise les communautés et coûte la dignité, et parfois la vie, à nos semblables. J’espère que chacun·e d’entre vous ressent une forme de responsabilité d’aider les communautés 2ELGBTQIA+ en milieu de travail et en dehors, en faisait preuve de gentillesse et d’humanité, et en rappelant à quelqu’un·e qu’il·elle est important·e. Aujourd’hui plus que jamais, l’attention et la solidarité collectives sont vitales. Je suis inspirée chaque jour par ma femme et partenaire, par ma famille et mes ami·e·s, par mes camarades et collègues, qui continuent à amplifier nos diverses voix, à dissiper la désinformation et à risquer leur vie pour notre libération collective à tou·te·s.
Je vous remercie tou·te·s infiniment. — Viktoria
Si vous êtes au Canada et que vous vivez de la détresse ou êtes affecté·e par la montée des menaces envers les communautés 2ELGBTQIA+, sachez que vous n’êtes pas seul·e. Vous pouvez contacter les services suivants pour obtenir un soutien gratuit et confidentiel :
Egale — Le principal organisme au Canada dédié aux personnes 2ELGBTQI et aux enjeux qui les concernent. Il améliore et épargne des vies grâce à la recherche, à l’éducation, à la sensibilisation et à la défense des droits de la personne et de l’égalité au Canada et dans le monde entier. Disponible en français et en anglais.
Interligne — Ligne d’aide et d’information accessible 24 heures sur 24 pour les personnes LGBTQ+, leurs proches et les professionnel·le·s de divers horizons (accessible partout au Canada et dans la francophonie à l’échelle mondiale). Disponible en français et en anglais.
It Gets Better Canada — Envisage un jour où aucun·e jeune au Canada ne se sentira marginalisé·e, isolé·e, exclu·e ou rejeté·e en raison de son orientation sexuelle, de son identité de genre et de son expression de genre. Disponible en français et en anglais.
VPH Action Globale — Pour une information inclusive sur la santé sexuelle et reproductive en général. Offre également des présentations inclusives dans les écoles et les établissements d’enseignement. Disponible en français et en anglais.
Aide aux Trans du Québec — Soutien et démystification des identités trans et non binaires. Disponible en français et en anglais.
Coalition des familles LGBT+ — Défense et soutien des familles non traditionnelles. Disponible en français et en anglais.
Références (cliquez ici pour consulter les sources)
[i] L’enbyphobie est une forme de discrimination et de violence envers des personnes non binaires. Glossaire des termes DÉIA, CCDI, 2024. https://ccdi.ca/glossaire-des-termes/
[ii] Une personne endosexe désigne une personne née avec des caractéristiques sexuelles primaires et secondaires qui correspondent à une des catégories médicales binaires et normatives de ce qui est considéré comme étant « male » ou « femelle ». Ces personnes ne sont pas intersexuées/intersexes et ne peuvent pas s’identifier comme telles. Glossaire des termes DÉIA, CCDI, 2024. https://ccdi.ca/glossaire-des-termes/
[iii] L’hétérocisnormativité est la norme selon laquelle il est considéré comme souhaitable et supérieur d’être une personne cis, hétérosexuelle et monogame. Ce terme s’inscrit dans une vision binaire du monde et suppose une adéquation entre le sexe assigné à la naissance, l’identité de genre et la sexualité. Glossaire des termes DÉIA, CCDI, 2024. https://ccdi.ca/glossaire-des-termes/
[iv] L’orientation romantique décrit une attirance ou absence d’attirance romantique et affective que ressent une personne envers d’autres personnes dépendamment ou indépendamment de leur genre. L’hétéromantisme, l’homoromantisme, le biromantisme et l’aromantisme sont, entre autres, des orientations romantiques. L’attirance romantique est souvent liée à l’attirance sexuelle, mais pas toujours. Glossaire des termes DÉIA, CCDI, 2024. https://ccdi.ca/glossaire-des-termes/
[v] Transitude est l’adaptation québécoise du mot anglais « transness ». La transitude désigne le fait, pour une personne, d’être trans. Dans la francophonie hors Québec, les termes transidentité et transgenrisme ont une définition similaire. Le mot « transexualité » est déconseillé parce qu’être trans n’est pas une sexualité. Glossaire des termes DÉIA, CCDI, 2024. https://ccdi.ca/glossaire-des-termes/
[vi] Queer est un terme générique utilisé par certaines personnes qui ne s’identifient ni comme hétérosexuel·le·s ni comme cisgenres. Il est de plus en plus utilisé au sein de la communauté en raison de son caractère inclusif et est parfois utilisé pour des raisons de commodité à la place des acronymes, mais ne devrait pas remplacer entièrement ces derniers. Glossaire des termes DÉIA, CCDI, 2024. https://ccdi.ca/glossaire-des-termes/
[vii] LORDE, Audre. 2007. Sister outsider : essais et propos sur la poésie, l’érotisme, le racisme, le sexisme. Crossing Press.
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